Une alternative à la société de surconsommation

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Pierre Pradervand

Entretien avec Pierre Pradervand

Pierre Pradervand a exercé, au cours d’une carrière de plus de trente ans, des métiers aussi divers que sociologue, journaliste, responsable de programmes de développement, consultant international et formateur d’adultes.

Critiquant impétueusement le gaspillage actuel, ce citoyen helvétique du troisième type nous affirme qu’il est possible de vivre mieux avec moins.

On parle de société de consommation, mais ne faudrait-il pas plutôt dire « de surconsommation »?

Lorsqu’au prochain siècle les historiens se tourneront sur notre monde actuel, ils risquent bien, en effet, de le décrire comme celui du gaspillage à outrance, de la « surconsommation ».

Cela dit, travaillant comme formateur indépendant avec des chômeurs en fin de droits, je me permets de rappeler que tout le monde ne jouit pas de cette prospérité.

De plus en plus de gens sont éjectés par le système, que ce soit à l’échelle régionale, nationale ou mondiale.

 

Et pour eux, la consommation serait une bonne chose…

C’est évident ! J’ai personnellement vécu onze ans en Afrique, et je ne souhaite qu’une chose pour mes amis paysans du Sahel, c’est qu’ils puissent consommer plus, et qu’ils n’aient plus à marcher quarante kilomètres par jour pour chercher un peu d’eau.

 

Quels dangers réels nous fait courir la surconsommation ?

Le premier danger est d’ordre écologique.

Si toute l’humanité voulait jouir du niveau de vie suisse, cinq planètes comme la terre seraient nécessaires pour satisfaire cette gourmandise.

Il faut donc à tout prix éviter cette escalade grotesque et dangereuse, et suivre le conseil de  Gandhi : « vivre simplement, afin que l’autre puisse simplement vivre ! ».

Le second danger est sans doute économique.

Parce qu’une grande théorie économique dit que  l’homme a des désirs illimités et des ressources limitées, on pousse de plus en plus la frénésie du désir.

Pour ma part, je crois que, fort heureusement, les vraies ressources sont, au contraire, illimités, puisqu’elles sont spirituelles ; alors que les désirs, même en les stimulant avec la publicité la plus exacerbée, sont relativement vite saturés.

Il n’y a quand même pas beaucoup de gens qui voudraient se payer deux ou trois mille paires de chaussures.

Et sans même parler de les acheter, qui pourrait réellement choisir parmi ces trois mille paires, ou parmi mille chaînes de T.V. ?…

Le troisième danger, et peut-être le plus important, est d’ordre spirituel.

L’occidental moderne croit que le contentement peut être obtenu sur le plan matériel ; alors que, depuis des millénaires, toutes les grandes sociétés traditionnelles prétendent et démontrent que la vraie satisfaction est intérieure, et que les valeurs spirituelles sont « les vraies richesses ».

 

Peut-être ces sociétés traditionnelles étaient-elles des civilisations, alors que ce n’est pas le cas pour notre société moderne ?

Tout à fait ! Mais je ne suis toutefois pas de ces gens qui rejettent en bloc les avantages de la société moderne.

Quand on a vécu onze ans dans le tiers-monde, parmi les populations les plus démunies, on ne peut qu’apprécier l’eau qui coule au robinet, les transports publics, l’hygiène, les droits de l’homme, la scolarisation…

Pour moi, le téléphone et l’Internet sont, par exemple, des choses merveilleuses.

 

Mais alors, la société de surconsommation, par son exubérance anarchique, n’a-t-elle pas, involontairement mais inévitablement, mis en place les éléments technologiques fondateurs d’une nouvelle civilisation ?

Je pense effectivement qu’une fois qu’on aura fait un tri dans cette exubérance de manifestations techniques, on pourra retirer des choses extraordinaires.

 

Nous savons que les Occidentaux souffrent de malnutrition (par carences vitaminiques) malgré la surnutrition. Au plan économique, n’y aurait-il pas également maldéveloppement malgré la surconsommation ?

Il est vrai que, dans certains domaines comme les services sociaux, il y a une carence grave en ce qui concerne la qualité.

Je pense notamment à ces maisons de retraite, en Suisse, où les gens payent facilement l’équivalent de 5000 Euros par mois, et n’ont pas de vrais soins.

On les plante devant la télévision, on les abrutit avec des tranquillisants… pour un coût effroyable.

Donc, il peut bien, en effet, y avoir en même temps surconsommation et carences.

Mais, au-delà de cet exemple typique, le maldéveloppement est devenu un véritable style de vie.

J’appelle « maldéveloppement » une situation ou une technologie, une institution ou une approche destinées à atteindre un certain but, et qui, en réalité, aboutit à un résultat nocif imprévu, voire à un résultat contraire.

Prenons l’exemple des pesticides.

Lorsqu’on a commencé à utiliser des pesticides à la fin des années 40, il existait une vingtaine d’insectes résistant à ces produits.

Aujourd’hui, ce sont plus de cinq cents contre lesquels les pesticides restent inefficaces.

Résultat : les pertes s’élèvent souvent à un tiers de la récolte… le même pourcentage qu’au Moyen Age.

Mais en attendant, on a pollué la planète entière avec ces produits.

Les dépenses de santé, et bien d’autres domaines de la vie économique, sont dans le même cas de maldéveloppement.

Pour enrichir quelques fabricants de pesticides ou de médicaments, on n’hésite pas à empoisonner la terre et ses habitants.

 

Oui, il est de notoriété publique que la société moderne ne s’intéresse qu’au profit financier.

C’est le fond du problème.

Le système économique actuel est effectivement orienté uniquement et totalement sur la satisfaction financière, sur le profit maximum pour une petite minorité de possédants.

Aujourd’hui, quelques centaines de milliardaires, dans le monde, disposent d’une quantité financière équivalente au revenu annuel des 40% de la population mondiale.

C’est quand même le signe d’un immense déséquilibre !

Or, la nature déteste les extrêmes. Elle cherche toujours à rétablir l’équilibre. C’est le principe même de l’écologie.

Et il faudra bien arriver à rétablir l’équilibre au niveau économique.

 

Par le partage des richesses ?

Non, il ne s’agit pas de partager les richesses, mais les opportunités.

 

Quel bénéfice tirerions-nous de changer de système économique, et surtout de réduire notre consommation ?

Il est évident qu’une réduction substantielle de la consommation dans le système économique tel qu’il fonctionne aujourd’hui serait catastrophique.

Par conséquent, ceux qui prônent une alternative à la surconsommation doivent nécessairement prôner un autre système économique.

Je propose, pour ma part, un système basé sur ce que la Américains appellent le « win-win », c’est à dire un système « tout gagnant » visant, par la négociation de  tous les problèmes, à obtenir des solutions où chacun peut profiter de quelque chose.

Actuellement, avec le paradigme « gagnant/perdant »,  deux ou trois cents entreprises « gagnantes » contrôlent 25% de la production industrielle mondiale, pendant que l’exclusion touche un nombre grandissant de « perdants ».

Il y aurait des alternatives à un tel gâchis.

Par exemple, selon l’économiste Margaret Kennedy, il serait possible de concevoir un système économique où l’argent resterait sans intérêt et sans inflation, ce nous qui permettrait d’être deux fois plus riches en travaillant autant… ou d’être tout aussi riche en travaillant deux fois moins.

Et, pour répondre à votre question, je dirais que le principal bénéfice que nous tirerions d’un  système économique différent serait le gain de temps.

Le temps est quand même l’élément le plus précieux de l’existence, puisqu’il n’est rien d’autre que l’écoulement de la vie.

Or, chaque acte de consommation mange du temps.

Prenons l’exemple de la voiture : un employé moyen paie annuellement de 450 heures de travail le privilège d’avoir une voiture.

Chaque année, il consacre environ 375 h à rouler, 100 h à chercher un parking, et 25 h à entretenir son automobile.

En tout, ce sont donc 950 h de vie qui sont consacrées à la consommation « voiture », 950 h que l’on peut diviser par les 15000 Km que notre citoyen parcourt en moyenne chaque année, pour obtenir une vitesse réelle de 16 Km/h, c’est à dire la vitesse d’un cycliste non polluant.

En diminuant la consommation, on gagne donc un temps extraordinaire que l’on peut, dès lors, employer à la culture de nos vraies richesses, de nos richesses intérieures : l’amour du prochain, le service…

Gandhi disait qu’il n’y a pas de plus grande source de joie qu’une vie consacrée au service.

 

Comment faire pour moins consommer ?

Il faut d’abord comprendre que moins consommer est aux antipodes de toute approche ascétique.

A mon sens, c’est bien la joie de vivre que l’on recherche lorsqu’on décide de simplifier son existence.

Cela étant, chacun doit trouver son propre chemin pour gérer différemment son temps et son argent.

C’est vraiment une expérience individuelle, qui doit être entreprise dans un esprit d’aventure et d’exploration.

Par contre, ce que tout le monde doit comprendre, c’est que chaque individu, parce qu’il fait partie du problème, fait aussi partie de la solution.

Je m’oppose totalement à ce fatalisme, qui est celui de tellement d’Occidentaux, et qui leur fait penser « qu’on ne peut rien y faire ».

Chaque acte, même le plus petit, par exemple lorsqu’on monte à pieds plutôt que de prendre l’ascenseur, ou lorsqu’on coupe son robinet d’eau quand il coule inutilement, chaque acte est une contribution très concrète.

N’oublions pas que chaque fois qu’on fait un achat au supermarché, on vote avec notre porte-monnaie.

Mais je crois qu’en fin de compte, ce qui fera basculer la planète, ce sera la contribution de chacun au niveau de la conscience.

 

Comment voyez-vous l’avenir ?

Un grand physicien Danois, Niels Bohr, disait que « la prédiction est un art très difficile, surtout concernant l’avenir ».

 

Bien sûr, mais ma question faisait appel au bon sens plutôt qu’à l’esprit prophétique. Pensez-vous par exemple que les profiteurs d’aujourd’hui vont se repentir demain, permettant ainsi à la société actuelle d’évoluer sans heurt vers un mieux ?

Quelque part, nous sommes tous des profiteurs.

Actuellement, nous profitons du tiers-monde. Même l’employé français très mal payé qui achète des chemises fabriquées au Vietnam profite du travail encore plus mal payé des Vietnamiens.

Cela dit, je pense qu’actuellement il y a une véritable urgence ; et je ne suis pas sûr que l’on réussisse à prendre le virage sans quelques carambolages assez sérieux, car il est un fait qu’on ne voit pas beaucoup de signes d’éveil, dans notre société, et surtout pas au niveau des politiciens et de ceux qui pensent l’économie.

Mais ce constat ne m’empêche pas, dans mon action quotidienne, soit en organisant mes ateliers, soit en travaillant avec des chômeurs, de promouvoir l’image d’un monde qui peut marcher différemment.

Je pense que tout changement doit avant tout s’effectuer dans la conscience. Tout est conscience, dans la vie.

Est-ce que la conscience va s’éveiller assez rapidement pour éviter des carambolages, je n’en sais rien, mais je travaille pour que ce soit le cas.

 Propos recueillis par Jan Kristiansen 

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alain-marc
alain-marc
8 années il y a

… Ca dégouline de bonnes intentions, tout ça… Mais comme on dit en allemand : Nah… Und ? (« OK. Et alors ? »)

YVON CHOFFAT
YVON CHOFFAT
5 années il y a

Affirmer que le travailleur français est un profiteur quand il achète sa chemise fabriquée au VietNam ,n’est pas très approprié si l’on évoque le fait que cette délocalisation lui vaut l’appauvrissement par le chômage rampant qui mine l’économie de son pays et lui ôte de ce fait les avantages d’une économie florissante tels ,par exemple, que l’existence de services publics efficaces; sans compter les retombées sur les conditions écologiques qui minent sa santé et donc son bien-être. Cette volonté de nourrir des sentiments de culpabilité chez les moins nantis m’insupporte de plus en plus puisqu’elle ne cible pas vraiment la… Lire la suite »

BERTRANDE MOURLET
BERTRANDE MOURLET
5 années il y a

P. Praderwand a beau dire, ce n’est pas parce qu’à ma petite échelle individuelle je fais ce que je peux pour avoir un comportement juste, que je vais améliorer les choses. Seule une action politique internationale pourrait faire évoluer les comportements, c’est une utopie ne serait-ce que parce que tous les politiciens aujourd’hui sont dans les pattes des financiers et autres lobbies mercantiles. On va dans le mur et la planète va se charger de nous le faire savoir dans plus ou moins longtemps. Ce n’est pas du pessimisme, c’est du réalisme. En attendant, continuons de faire attention à ce… Lire la suite »

Régine
5 années il y a

Et comme j’admire vos discours sans parti pris, seulement animés par une volonté de chercher des solutions, et de résoudre des problèmes qui nous concernent tous…..Bravo!